Lyon.Le Texan a passé 18 ans en prison alors qu’il était innocent. Hier matin, il a rencontré pour la première fois Michèle et Jean-Paul, un couple qui l’a soutenu pendant sa détention
À la sortie du train en provenance de Clermont-Ferrand, hier matin, Anthony Graves a serré Jean-Paul Vulliez dans ses bras. Derrière cette banale scène de gare, se conclut une histoire extraordinaire.
Les deux hommes font à peu près la même taille. L’un est noir. Natif d’une petite ville du Texas, il est plutôt rond et ne paraît pas ses 46 ans. L’autre est blanc et tout fin. Retraité, il partage, avec sa compagne Michèle Passieux, un appartement du quartier de Gerland à Lyon.
Anthony et Jean-Paul se rencontrent pour la première fois après avoir correspondu pendant six ans. Pendant cette période, le premier était derrière les barreaux. Accusé en 1994 d’avoir participé au meurtre d’une famille de six personnes, il a été condamné à mort. « Je suis si content », dit-il en étreignant son correspondant lyonnais dans une grande émotion. Libéré en octobre 2010, Anthony est venu hier à Lyon pour donner une conférence et remercier le couple qui l’a soutenu. Michèle, surtout, avec laquelle il a correspondu pendant six ans.
La dame a du mal à marcher. Elle n’a pas pu se rendre à la gare. C’est donc au cinquième étage de l’immeuble qu’elle a patienté pour à son tour embrasser l’ex-détenu. « J’attendais ce moment. Je savais que ce serait unique. Pouvoir rencontrer celui qui a bien failli y passer… ». Dans l’appartement, flotte une bonne odeur de poisson au beurre blanc. Jean-Paul est aux fourneaux. Serviettes à carreaux, salades d’été, la table est d’une simplicité accueillante.
Michèle Passieux est militante à l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) Il y a six ans, son association lui a proposé d’écrire à Anthony. « Je lui ai envoyé une première carte postale. Il m’a répondu par une lettre et ça n’a plus jamais fini ». Elle a su lui faire dire les « douches bouillantes », « les réveils forcés » « la bouffe toujours froide ». Une somme d’humiliations quotidiennes dans l’incertitude de son sort final.
De Lyon, Michèle l’a encouragé à tenir le coup. « Tous les mots ont été importants » souligne Anthony Graves dans un grand sourire. « Ils ont été écrits dans l’amitié, la bienveillance. Ils m’ont permis aussi de découvrir la culture française, comment on vit ici ». L’Américain n’est pas surpris. « À travers les lettres, on peut percevoir une personne. Michèle, c’est comme ma famille ».
Aujourd’hui, il reprend l’avion à Paris pour rentrer chez lui. « Être en France, c’est ce dont rêve tout petit garçon américain », sourit-il encore. Entre le rêve et la réalité, se sont écoulés lentement dix-huit ans d’enfermement sur erreur judiciaire. Alors, Anthony Graves a envie de rester encore un peu sur le balcon de l’appartement lyonnais. Pour la vue, le ciel, les arbres… Le regard vers l’extérieur, et à l’intérieur, la vie qui continue ou qui recommence.
Le Progrès, publié le 22 mai 2011
http://www.leprogres.fr/loire/2011/05/22/anthony-graves-condamne-a-mort-par-erreur-a-retrouve-ses-amis