Histoire de l'injustice vécue par Anthony Graves

18 années d'injustice 
dans la vie d'Anthony Graves

Anthony Graves 2007

En Août 1992, quelques jours après avoir reçu une demande de recherche en paternité apportée à son domicile par son ex-femme Lisa Davis, Robert Earl Carter est arrêté et accusé du meurtre de six membres de la famille Davis. Les victimes sont Bobbie Davis, la mère de Lisa, son autre fille, Nicole âgée de seize ans, et quatre enfants âgés de quatre à neuf ans; elles sont mortes de plusieurs coups de couteau, coups de marteau et coups de feu. La maison a été incendiée pour cacher les meurtres. 

La maison de la famille Davis en 1992 

Aux funérailles de Jason, Robert Carter le visage bandé 
et sa femme Theresa
Robert Carter 27 ans, afro-américain a été arrêté après s'être présenté aux funérailles de l'une des victimes, celle de son fils Jason qui avait 4 ans. Le visage couvert de bandages et les mains brûlées au second degré, il fut facilement repéré et emmené au poste de police pour être interrogé.
  
Lors de l'interrogatoire mené par le Ranger Coffman, Robert Carter a tout d'abord cherché à nier avoir commis les meurtres, déclarant qu'il s'était brûlé en allumant un feu dans son jardin. Puis réalisant que les enquêteurs ne le croyaient pas, il avoua avoir été présent sur le lieu du crime.

Les policiers continuèrent de l'interroger le pressant de nommer son complice. Ils pensaient que les meurtres avaient été commis par au moins trois personnes; cette thèse était probablement tirée du fait que les armes utilisées pour tuer les six personnes étaient au nombre de trois, un couteau, un marteau ou un instrument frappant et un revolver.
 
Or l'arme à feu n'avait été utilisée que sur une seule personne, la jeune fille des Davis; Bobbie Davis avait été frappée à la tête et tuée de plusieurs coups de couteau et les enfants avaient été tués à coups de couteau, l'inhalation de la fumée par l'un d'entre eux ayant contribué à sa mort.

Ces meurtres pouvaient avoir été commis par seulement deux personnes et même une seule personne car les enfants étaient profondément endormis lorsque les premiers meurtres ont été commis.
Après dix heures d'interrogatoire, Robert Carter a nommé le cousin de sa femme "Anthony Graves" comme complice. Il expliqua que Graves était venu chez lui dans une Suzuki Sidekik grise; il voulait rencontrer des filles. L'enquête révèlera plus tard que la Sidekik grise appartenait à un dénommé "Kenneth Porter" qui était en fait à son travail la nuit du crime.

Lors de ce premier interrogatoire, Robert Carter déclara qu'il avait conduit Graves à la maison des Davis; il expliqua qu'il avait attendu Graves dans sa voiture pendant que ce dernier entrait dans la maison puis qu'il avait entendu un coup de feu; il déclara alors au policier: "je suis allé à la porte, j'hésitais à entrer... je lui ai dit "Kenneth viens"! ", oubliant le nom du complice qu'il venait de donner aux policiers. Mais les policiers ne se sont pas inquiétés de cette confusion dans les noms et ont poursuivi l'interrogatoire.
Carter expliqua qu'en entrant dans la maison il s'est heurté à Graves, a trébuché et s'est brûlé. Au bout de ses dix premières heures de détention, il ne niait plus ne pas avoir été présent sur les lieux du crime mais rejetait toute la responsabilité des meurtres sur Anthony Graves; il savait qu'il était soupçonné d'avoir commis les meurtres mais espérait être récompensé pour avoir donné le nom du tueur de la famille Davis.
Le casier judiciaire de Robert Carter

En fait, Carter cherchait à protéger sa femme Theresa que les policiers menaçaient de poursuivre s'il ne dénonçait pas un complice. On lui avait fait entendre que l'on "déroulerait le tapis rouge pour lui". Au cours de l'interrogatoire, il dira: "Je sais que vous essayez de me faire une faveur. En même temps j'essaie de vous en faire une. Vous voulez attraper le gars."
 
Anthony Graves a été arrêté le matin du 31 mai 1992 sur la base de cette déclaration...
                                       
Robert Carter (à gauche) Anthony Graves 1992 (à droite) 

Jeune afro-américain de vingt sept ans, Anthony Graves était au chômage à cette époque; il revenait de l'agence pour l'emploi le matin de son arrestation. Il fut très surpris; il avait passé la nuit du meurtre chez sa mère avec sa petite amie Yolanda Mathis; son frère Arthur âgé de 22 ans et sa soeur Dietrich âgée de 24 ans étaient également dans la maison. 

Devant le Grand Jury, Robert Carter n'a pas cessé de se disculper; mais il a changé sa version des faits; il déclara qu'il n'était pas présent sur le lieu des crimes cette nuit-là, mais qu'il était avec sa femme Theresa et sa fille. 
Il expliqua au Grand Jury que sa précédente déclaration inculpant Graves était fausse et qu'il l'avait faite sous la pression des policiers qui voulaient un nom. Sa femme, Theresa, aussi surnommée « Cookie », déclara au Grand Jury, que Robert Carter lui avait dit qu'il avait donné le nom d'Anthony Graves comme complice, parce qu'il pensait qu'Anthony aurait un alibi et parce qu'il était menacé par les Rangers.
 

Yolanda Mathis a témoigné qu'elle était avec Anthony Graves cette nuit-là. Mais ni Arthur, ni Dietrich n'ont été appelés à témoigner; pourtant tous les deux avaient fait une déposition à la police déclarant qu'ils étaient avec leur frère la nuit du crime.


Arthur Curry, Yolanda Mathis et Dietricht lors d'un interview télévisé en 1001


 Il n'y avait aucune preuve matérielle pouvant inculper Anthony Graves; néanmoins, le procureur Charles Sebesta, persuada le Grand Jury d'inculper Anthony Graves de meurtre capital. 
Le procès de Robert Carter est intervenu en premier, sept mois avant celui d'Anthony Graves; il fut condamné pour meurtre capital le 23 février 1994. 

Robert Carter (en haut) Anthony Graves (en bas)
Après sa condamnation, le procureur continua de faire pression sur lui pour qu'il témoigne contre Anthony Graves et nomme un troisième complice. 
L'Etat pensait que Cookie était complice. Carter donna alors le nom de « Red » à la police. Il y a eu trois interrogatoires menés par le Ranger Coffman entre le 1 er septembre 1994 et le 20 octobre 1994; à chaque interrogatoire, Robert Carter délivrait une nouvelle version des faits; cependant, il admit qu'il avait conservé une relation intime avec Lisa Davis, son ex-femme et la mère de son enfant Jason. Cette relation avait créé des problèmes dans son mariage avec Cookie ; il avait voulu y mettre un terme mais Lisa l'avait menacé de demander une pension alimentaire pour l'enfant s'il ne continuait pas à la voir. Au cours de ces trois interrogatoires, sous la pression des policiers, Carter continua d'incriminer Anthony Graves tout en continuant de protéger sa femme Cookie. 
Charles Sebesta



Néanmoins, le procureur Sebesta n'avait pas l'assurance que Robert Carter témoignerait contre Anthony Graves le jour de son procès. Son témoignage était très important car il n'y avait absolument aucune preuve pour inculper Anthony Graves. 

Le procureur Sebesta a donc jugé utile de négocier une dernière fois avec Robert Carter la veille du procès. Lors des discussions qui se sont tenues entre 18 heures et minuit, le 20 octobre 1994, Robert Carter a déclaré qu'il avait commis le crime seul "Je l'ai fait moi-même, Mr Sebesta. J'ai tout fait moi-même ».

 Le procureur ne crut pas Robert Carter et insista pour qu'il témoigne contre Cookie, en échange de quoi sa condamnation à la peine capitale serait renversée en appel. On lui fit passer un test au détecteur de mensonge sur l'implication de Cookie, auquel il échoua. Il admit alors que Cookie avait joué un rôle actif dans ces meurtres.
 Le procureur espérait que le lendemain Carter témoignerait à la fois contre Graves et Cookie, mais il n'en était pas certain. Il décida alors de faire venir son frère, Hézekiah Carter. Le lendemain matin, à 7 heures 30, Robert Carter refusait encore de témoigner contre Anthony Graves; on demanda alors à Hezekhia de parler à son frère. Il n'existe aucun rapport, aucun enregistrement de cette discussion privée entre les deux frères. Mais à la sortie de cet entretien, Robert Carter refusait toujours l'offre du Procureur Sebesta qui consistait en une promesse d'emprisonnement sur révision de sa condamnation en échange d'un témoignage contre Anthony Graves et Cookie. Ce n'est seulement qu'après 9 heures du matin, alors que le juge et le jury l'attendaient, que Carter accepta finalement de témoigner contre Anthony Graves à condition que le procureur ne lui pose aucune question sur l'implication de Cookie dans les meurtres.


Robert Carter se rendant au procès d'Anthony Graves

Au procès, Robert Carter a donc témoigné contre Anthony Graves. Mais il n'y avait aucune preuve qui reliait Anthony Graves à ces crimes. Aucune empreinte digitale n'a été retrouvée ni aucune arme.
Rangers Coffman
Dr Bayardo
Cependant, le procureur présenta au procès un couteau à cran d'arrêt fabriqué en kit par un établissement de vente par correspondance; selon le médecin légiste du Comté de Travis, le Dr Bayardo, c'était une lame semblable qui avait été utilisée pour poignarder les victimes; ce couteau était celui d'un ancien employeur d'Anthony Graves, nommé Rueter ; il lui avait fait cadeau d'un couteau identique "en souvenir" et il avait conservé celui-ci pour lui; le policier Coffman témoigna en qualité "d'expert en couteau" ; selon lui, il entrait « comme un gant » dans les incisions. 
Un autre médecin légiste a déclaré que les blessures subies par les victimes pouvaient avoir été faites par n'importe quel couteau avec une lame d'au moins six centimètres et demi. Plus tard, un anthropologiste légiste déclarera que les méthodes utilisées par les policiers et le Dr Bayardo pour comparer le couteau de Rueter aux blessures des victimes n'étaient pas seulement « sujettes à caution » mais pouvaient aussi avoir détruit la preuve originelle. En fait, l'arme n'a jamais été retrouvée, et Robert Carter l'a toujours décrite dans ses différents interrogatoires comme un couteau de taille moyenne avec une lame fixe.

Robert Carter a aussi déclaré au procès que le mobile des meurtres pour Anthony Graves était son ressentiment envers Bobbie Davis qui travaillait à l'école publique de Brenham avec sa mère, car elle avait obtenu une promotion que sa mère aurait voulue. Mais, la directrice de l'école a aussi témoigné qu'il n'y avait aucune animosité entre les deux femmes pour une quelconque décision de promotion. Et durant le procès de Robert Carter, Lisa Davis qui travaillait aussi à l'école a témoigné pour l'Etat que sa mère et la mère d'Anthony Graves étaient amies et qu'elle n'était pas au courant d'une quelconque compétition entre elles.

 Au procès d'Anthony Graves - en haut Robert Carter et son avocat
Le procureur a aussi présenté au jury les témoignages de trois employés de la prison du Comté de Burlesson où Robert Carter et Anthony Graves avaient été incarcérés dans des cellules contiguës. Ces témoins auraient entendu par l'interphone des propos tenus par les deux hommes qui incriminaient Anthony Graves. Mais ils ont aussi admis que l'interphone fonctionnait mal, que quatre autres détenus parlaient en même temps et que les voix étaient couvertes par les bruits des ventilateurs et des télévisions. Deux d'entre eux concédèrent aussi qu'ils n'avaient jamais entendu parler Anthony Graves et ne pouvaient donc pas reconnaître sa voix.

 Le témoin principal de la défense était Yolanda Mathis ; elle avait témoigné au Grand Jury qu'elle avait passé toute la nuit avec Anthony Graves dans son appartement à Brenham. Juste avant qu'elle se présente à la barre, le procureur déclara au juge que Yolanda Mathis devrait être avertie qu'elle était un suspect possible et qu'elle pourrait être inculpée. L'avocat d'Anthony Graves, Calvin Carvie informa immédiatement Yolanda Mathis de la menace du procureur. Pétrifiée par la peur, elle refusa de témoigner. Le procureur triomphant, pourra dire au jury : « Où est ce témoin alibi avec lequel Monsieur Graves prétend avoir été? Pourquoi n'est-il pas ici pour témoigner? ». En fait Yolanda Mathis n'a jamais été inculpée ni accusée des meurtres et elle continue d'affirmer aujourd'hui qu'elle était avec Anthony Graves dans son appartement, la nuit des meurtres. Quant au procureur Sebesta, il était connu pour utiliser ce type de stratège, simulant des inculpations.

Arthur Curry, le frère d'Anthony Graves témoigna au procès que son frère était à la maison la nuit des meurtres avec sa sœur Dietrich Curry Lewis et Yolanda Mathis. Il était resté jusqu'à trois heures du matin à téléphoner à sa petite amie Kay Vest qui avait aussi parlé un instant avec Anthony Graves. Bien que le procureur savait que ceci avait déjà été dit au Grand Jury, il dit: « C'est la première fois que nous entendons ça ». Ceci était faux. Le premier avocat d'Anthony Graves avait interrogé Kay Vest qui avait confirmé avoir parlé à Anthony Graves vers une heure du matin lorsque son frère lui avait passé le téléphone.
 


Arthur Curry, le frère d'Anthony Graves lors d'un interview avec un journaliste en 2007 : "Je sais qu'il est innccent. Comment je sais qu'il est innocent ? Parce que nous étions à la maison. Il était à la maison où j'étais aussi cette nuit là. Je suis absolument certain qu'il n'est jamais sorti... Personne n'est jamais sorti et n'a jamais quitté la maison". (Docuentaire  « Innocence Files » Kurtis productions.LTD - 2007)

Pour le procureur Charles Sebesta, la seule difficulté dans cette affaire aura été d'obtenir que Robert Carter incrimine Anthony Graves à son procès. Il y est parvenu après de longues négociations et grâce à Hezekiah Carter. Ce témoignage obtenu, le reste était un jeu d'enfant pour lui car il était un homme rusé et très expérimenté. Face à lui se trouvait un jeune avocat, Calvin Garvie, sans expérience et pour qui cette affaire criminelle était la première. Calvin Garvie a commis plusieurs erreurs; ainsi devant la menace d'inculpation de Yolanda Mathis, il n'a pas su réagir.
Plus tard, en appel d'habeas, Anthony Graves sera défendu par un autre avocat nouvellement nommé qui commettra lui aussi de graves erreurs. L'inconduite du procureur et la déficience de la défense seront soulevées en appel mais rejetées par les Cours.

Le jury a donc entendu au procès la déclaration de Robert Carter incriminant Anthony Graves ainsi qu'une nouvelle version des faits. Mais il n'a pas été informé de ses hésitations à témoigner contre Anthony Graves, à peine quelques minutes avant le début du procès. Il n'a pas su que Robert Carter avait dit la veille au soir, qu'il avait commis les meurtres seul, puis qu'il avait avoué l'implication de sa femme Cookie. Ces deux déclarations n'ont pas été, non plus divulguées à la défense. Elles étaient trop importantes pour l'accusation, car elles auraient pu changer le cour du procès. Les jurés se seraient interrogés sur la réelle implication d'Anthony Graves et la défense aurait pu approfondir la question de l'implication de Cookie et mettre le doute dans l'esprit des jurés.

Un des jurés a déclaré à la presse plus tard qu'il avait beaucoup hésité à prendre sa décision; il avait toujours cru qu'Anthony Graves était innocent et que le procureur se servait de lui parce qu'il avait besoin que « quelqu'un tombe ». Ce juré a finalement suivi l'avis des autres jurés, persuadé qu'Anthony Graves obtiendrait un nouveau procès en appel.

Anthony Graves n'a donc pas eu un procès juste. Reconnu coupable, il a été condamné à la peine capitale le 1er novembre 1994. 

Il a alors rejoint les autres condamnés à mort du Texas incarcérés à cette époque à la prison d'Huntsville qui est aujourd'hui réservée aux exécutions (1).
   
De gauche à droite : le couloir de la mort au Texas "Polunsky" - le tribunal à Caldwell - La chambre de la mort - Polunsky la nuit.

Presque tout de suite après la condamnation d'Anthony Graves, Robert Carter a rétracté son
témoignage déclarant qu'il avait commis les meurtres seul, et qu'Anthony Graves n'était pas présent sur le lieu du crime. Il informa ses avocats, ceux d'Anthony Graves, deux détenus Alain Kelly et Kerry Max Cook, et sa seconde mère.
Kerry Max Cook est un des rares condamnés à mort ayant été libéré du couloir de la mort au Texas. Il a été rejugé trois fois avant d'être libéré et innocenté par des tests ADN. en 1999 .Dans son livre : Chasing Justice: My Story of Freeing Myself after Two Decades on Death Row for a Crime I Did Not Commit (William Morrow, 2007) il raconte sa rencontre avec Robert Carter et comme il a été choqué lorsqu'il lui a avoué qu'il avait passé un accord avec le procureur pour le faire accuser.  



 Kerry Max Cook et un journaliste de CBS news parlant de l'affaire d'Anthony Graves -Former inmate seeks justice March 7th, 2007- http://www.khou.com
Le 18 mai 2000, treize jours avant son exécution il fit une longue déposition en présence de Charles Sebesta et de Roy Greenwood le nouvel avocat d'Anthony Graves ; il y répéta ce qu'il avait dit au procureur et au Ranger Coffman. 


Robert Carter et Roy Greenwood le 18 mai 2000
« C'était moi, mais vous disiez que vous ne vouliez pas entendre ça » - « Anthony Graves n'avait pas pris part aux meurtres ; il n'était pas présent avant, pendant ou après que j'ai eu commis les multiples meurtres chez les Davis ».

Jusqu'à son dernier souffle Robert Carter disculpera Anthony Graves, répétant: «C'était moi et moi seul. Anthony Graves n 'a rien à voir avec ça. J'ai menti sur lui à la Cour ».
Robert Carter faisant sa déposition filmée innocentant Anthony Graves

Robert Carter a été exécuté le 31 mai 2000 à Huntsville au Texas. Il a laissé une dernière déclaration disculpant Anthony Graves :
«  A la famille Davis, je suis désolé pour la peine que j'ai causée à votre famille. C'était moi et moi seul. Anthony Graves n'a rien à voir avec ça. J'ai menti à la Cour. Ma femme n'a rien à voir avec ça. Anthony Graves ne sait rien également. Ma femme ne sait rien. Mais, j'espère que vous trouverez votre paix et réconfort dans la force de Jésus Christ seul. Comme je l'ai dit, je suis désolé d'avoir blessé votre famille. Et c'est une honte que cela ait dû arriver. Alors, j'espère que vous ne trouverez pas la paix dans ma mort mais dans la cause du Christ. Il est le seul qui peut vous donner la force dont vous avez besoin. [... ] »

Pour Anthony Graves allait se poursuivre un combat qui durera 18 ans (2).

En mars 2006, une décision prise par 3 juges de la Cour fédérale a enfin renversé sa condamnation à mort. Mais il ne fut pas libéré pour autant. 

 
Dans le jugement, les juges de la Cour Fédérale qualifiaient de « tromperies» les tentatives délibérées du procureur pour convaincre le jury.
Ils démontraient :
  • qu’aucune preuve matérielle n’existait pour incriminer Anthony Graves,
  • et que deux déclarations du meurtrier qui disculpaient Anthony Graves et qui n’avaient pas été divulguées au jury par le procureur étaient importantes et « particulièrement significatives ».

Les juges ont conclu en affirmant : « l’accusation d’Anthony Graves repose presque entièrement sur le témoignage de Carter et il n’y a aucune preuve directe le reliant à Carter ou à la scène des meurtres autre que le témoignage de Carter. »

Par cette décision, les juges fédéraux ont invalidé la condamnation à mort d’Anthony Graves et ordonné à l'Etat du Texas de le libérer ou de le rejuger.

Mais le Texas qui a exécuté 466 personnes en 29 ans, ne s'avoue jamais vaincu. Le 12 Septembre 2006, il commença à entamer les procédures pour rejuger Anthony Graves.
 
Anthony Graves changea de prison; il quitta le quartier des condamnés à mort et retourna dans la prison de Caldwell ; cette même prison où il avait été enfermé 15 ans plus tôt dans une cellule face à celle de Robert Carter. 
 
La prison à Caldwell 
Dans un premier temps, l'affaire a été confiée au procureur du comté de Burleson, dont le bureau n'était autre que celui de Charles Sebesta aujourd'hui en retraite. Finalement, sans doute sous la pression des médias, les membres du bureau du procureur ont demandé au juge d'être déchargés de cette affaire car la plupart avaient participé à la condamnation d'Anthony Graves.

Un nouveau procureur a était nommé ; il s'agissait de Patrick Batchelor du Comté de Navarro; il était bien connu des abolitionnistes pour avoir permis l'exécution en 2004 de Cameron Todd Willingham accusé d'avoir tué ses trois enfants dans un incendie soi-disant criminel alors que des experts avaient prouvé qu'il s'agissait d'un incendie involontaire. Aussi, Anthony Graves, sa famille et ses avocats n'ont pas été surpris lorsqu'ils apprirent que Batchelor voulait condamner à mort Anthony Graves à nouveau.
La juge qui devait présider le procès n'était autre que la fille du premier juge qui avait condamné à mort Anthony Graves en 1994. Pendant longtemps, on s'est interrogé sur son impartialité d'autant plus qu'elle avait mis en place une stratégie originale pour conserver cette affaire. Bien que les avocats de la défense n'avaient pas expressément demandé à ce qu'elle se retire de l'affaire, elle a cru nécessaire de provoquer une audience pour rejeter toute motion visant sa démission.

District Judge Reva Towslee Corbett

Une libération conditionnelle d'Anthony Graves aurait pu avoir lieu début janvier 2007 ; un juge fédéral avait autorisé sa libération sous versement d'une somme de 5 000 dollars ; mais la Juge de la cour d'Etat qui avait fixé la caution à 1 000 000 dollars exigeait une somme de 100 000 dollars qu'elle a ensuite réduite à 60 000 dollars après appel de la défense. Or ni Anthony Graves, ni sa famille et ses amis n'avaient cette somme. Les avocats ont fait appel de cette décision auprès de la cour fédérale.
Une visite à Anthony à la prison de Caldwell de sa mère Dorris Curry, son fils Terrell et deux étudiants supporters
Dans un premier temps, la juge ne semblait pas vouloir accéder aux demandes de la défense ; les avocats d'Anthony Graves avaient demandé que toutes les déclarations faites par Robert Carter, incriminant et innocentant Anthony Graves soient supprimées du dossier car il ne pouvait plus être contre-interrogé. 
Selon une jurisprudence récente de la Cour Suprême des Etats-Unis, pour qu'un témoignage donné lors d'un premier procès soit valable pour un second procès, l'Etat doit être en mesure de présenter le témoin. Malgré cette jurisprudence qui a force de loi, la juge avait rejeté cette motion. 
Le procès qui aurait pu intervenir lors de l'été 2007 a été reporté plusieurs fois pour des raisons diverses qui tenaient soit à l'emploi du temps du procureur soit à celui des avocats , soit à des appels sur des questions de régularité ou à d'autres imprévus. Par exemple, les expertises des pièces à conviction ont retardé le procès. Les avocats d'Anthony Graves n'ont obtenu qu'en juin 2008 les pièces à conviction qui avaient été produites au procès de 1994; ils avaient exigé qu'elles soient à nouveau expertisées avec les technologies modernes afin de déterminer qui est responsable des meurtres. En effet les rapports d'expertises de l'époque indiquaient qu'aucune empreinte appartenant à Anthony Graves n'avait été trouvée sur ces pièces à conviction mais ils ne mentionnaient pas si d'autres empreintes s'y trouvaient. Anthony Graves avait demandé lui-même au juge lors de l'audience du 22 Mai 2007, que chaque pièce à conviction soit examinée ; « j'ai attendu 15 ans ; je peux attendre plus longtemps » a-t-il dit. Malheureusement, l'ancienneté des pièces et leur mauvaise conservation ont empêché une lecture de l'ADN. 

La défense avait aussi demandé que le procès ait lieu dans un autre comté afin de garantir l'impartialité du jugement. Cette demande ne fut accordée qu'en 2009. Les retraits successifs des procureurs chargés de cette affaire et leur remplacement ont aussi retardé le déroulement du procès.

Même l'avocat général de l'Etat du Texas avait demandé à être déchargé de cette affaire en raison de son historique ; l'Etat ne souhaitait plus financer un procès qu'il pensait sans doute voué à la défaite. 
L'affaire fut finalement transférée au bureau du procureur des Comtés de Washington et de Burleson, Bill Parham, qui engagea un nouveau procureur pour l'aider ; ce nouveau procureur, Kelly Siegler, est très connue pour son utilisation d'effets dramatiques pour convaincre les jurys. Elle était aussi redoutée des condamnés à mort pour avoir entrainé à la mort plusieurs d'entre eux.


Anthony Graves n'a jamais cessé d'espérer voir la fin de ce cauchemar. 
 En 2006, un journaliste de PBS lui pose cette question : "il y a des gens qui vous regarderont et qui diront " mais il a eu accès au système judiciaire ; il a eu droit à un procès ; il a y eu d'autres procédures. Et pourtant la justice croit encore qu'il est coupable". Quelle est la réponse à ça ?
Anthony Graves répond : 
"Ce sont des personnes qui veulent vraiment croire au système judiciaire. Elles ne veulent pas croire que le système est tellement faillible qu'un homme innocent peut traverser toutes les procédures d'appel et être quand même exécuté. Vous savez? Je comprends ça. Parce que je veux croire en mon système de justice criminelle. J'ai besoin d'y croire parce que si effectivement il marche, alors je vais rentrer à la maison".

Et le jour tant attendu est arrivé. Le 27 octobre 2010 à 5H30 de l'après midi Anthony Graves apprend qu'il est libéré immédiatement. Aucun procès n'aura lieu.
  Anthony Graves libéré avec sa famille et ses amis le 29 octobre 2010
Le procureur du district de Washington et de Burleson, Bill Parham a décidé d'abandonner les charges contre Anthony et de demander sa libération que la juge a acceptée. « C'est un homme innocent » déclara-t-il à la presse. « Il n'y a rien qui relie Anthony Graves à ce crime. J'ai fait ce que j'ai fait parce que c'est la meilleure chose à faire ». « Après des mois d'enquête et après avoir parlé à plusieurs témoins qui ont été impliqués dans cette affaire ainsi qu'à des gens à qui on n'avait jamais parlé auparavant, après avoir regardé sous chaque pierre que nous pouvions trouver, nous n'avons trouvé aucune pièce à conviction crédible qui reliait Anthony Graves à ces meurtres passibles de la peine capitale. » déclara Kelly Siegler aux journalistes. « Ce n'est pas que cette affaire a moisi au cours des années, mais c'est qu'elle n'a jamais existé au bon endroit ». «  Ce n'est pas une affaire où les preuves ont disparu avec le temps, ou que les témoins sont morts ou que nous ne pouvions plus nous occuper de l'affaire. C'est un homme innocent. » ajouta-t-elle.


L'histoire d'Anthony Graves n'est pas unique ; 138 personnes ont été libérées des couloirs de la mort américains depuis 1973. Mais ce qui la distingue peut-être des autres affaires d'erreurs judiciaires est l'intérêt que la presse locale a porté à cette affaire ; très tôt les journalistes du journal Houston Chronicle ont perçu les irrégularités et la malhonnêteté du procureur Sebesta. Les juristes Texans se sont aussi beaucoup intéressés à cette affaire. De plus, Anthony a bénéficié de très bons avocats en appel, pourtant ils étaient tous nommés par l'Etat (voir encadré).


Enfin, nous ne sommes plus au début des années 90. A cette époque la peine de mort et la façon dont elle était pratiquée dans les Etats n'étaient pas vraiment connue du public, ni des milieux intellectuels et des juristes. Aujourd'hui, le débat sur le système qui met à mort est controversé dans tous les Etats d'Amérique du Nord; le Texas n'échappe pas à ces débats même s'il reste aujourd'hui le premier exécuteur (3).

Les citoyens Américains n'apprécient guère le coût exorbitant des condamnations à mort ; au Texas, le coût moyen d'un cas de peine de mort s'élève à 2,3 millions de dollars, soit environ trois fois le coût d'un peine de prison d'une durée de 40 ans (Étude publiée par le Dallas Morning news, 8 mars 1992)

Mais, le principal argument en faveur d'un moratoire des exécutions mis en avant aujourd'hui aux Etats-Unis, est le risque de l'erreur judiciaire qui conduirait à tuer un innocent. Cent trente neuf personnes ont échappé à la mort après avoir passé plusieurs années dans un couloir de la mort. Combien d'innocents ont été exécutés ? 

Ce qui s'est réellement passé à Sommerville la nuit 17 août 1992, reste encore aujourd'hui un mystère. L'acharnement dont a fait preuve le premier procureur a conduit à laisser cette affaire pas complètement résolue probablement pour toujours. 

Les tombes des victimes

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Mais aujourd'hui Anthony Graves, libéré, réalise le rêve qu'il a eu pendant toutes ces années en prison : démontrer au monde entier que la peine de mort doit être abolie et aider les condamnés à mort.
Embauché par l'organisation Texas Defender Service, il re-étudie les cas de peine capitale où des irrégularités ont été commises et sillonne l'Etat du Texas pour faire des conférences. 


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 (1)
Depuis 1999, les condamnés à mort sont enfermés dans la prison Polunsky située à Livingston, une petite ville au nord de Houston ; actuellement 373 condamnés à mort y attendent soit leur exécution, soit une issue favorable à leur appel. Les conditions de détention y sont beaucoup plus difficiles qu'elles ne l'étaient à Huntsville. Le condamné à mort reste enfermé dans sa cellule, seul, pratiquement 24 heures sur 24; il ne peut sortir qu'une heure par jour pour aller faire quelques exercices, seul, dans une autre petite salle.
(2)
La procédure pénale américaine commence par la comparution de l'accusé devant le Grand Jury qui détermine si les charges sont suffisantes pour renvoyer l'affaire en cour d'assise. Puis se déroule le procès à l'issue duquel le jury juge l'accusé coupable ou non coupable ; s'il est jugé coupable, la peine est alors déterminée. Tous les accusés ont le droit de faire appel devant une cour d'appel d'Etat ; le verdict du tribunal peut aussi être infirmé par des requêtes d'Habeas Corpus déposées soit devant une cour d'appel d'Etat, soit un tribunal de district ou une cour d'appel fédérale. Par cette procédure d'Habeas, il est demandé à la cour de libérer l'accusé parce qu'il est détenu en violation de la Constitution.
Le procès d'Anthony Graves a commencé le 20 octobre 1994, il a été jugé coupable et condamné à mort le 1er novembre 1994. Son appel direct devant la Cour Criminelle d'appel du Texas a été rejeté le 23 avril 2007; ensuite plusieurs requêtes d'habeas ont été déposées au niveau de l'Etat et au niveau fédéral; ce n'est que le 3 mars 2006, qu'une cour fédérale a invalidé sa condamnation à mort et a ordonné qu'il soit libéré ou qu'il soit rejugé.
(3) 
Au 15 avril 2011, le Texas avait exécuté 466 hommes et femmes depuis 1982 ; ce chiffre représente plus du tiers des 1246 exécutions nationales.
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